dimanche 21 octobre 2012

Rencontre entre Yan Lianke et Antoine Volodine

A 15 heures 30, nous avons eu le privilège de pouvoir assister à la rencontre entre Antoine Volodine et Yan Lianke. 
Dans un premier temps, les auteurs ont comparé leurs ouvrages. Ils nous ont exposé les points communs et les différences entre leurs œuvres respectives. Yan Lianke a pu lire la traduction chinoise de l'œuvre de Volodine. Ce dernier a beaucoup écrit en Chine (comme Le nom du singe). Lianke observe le fait que les deux écrivains ont adopté le point de vue d 'observateur, néanmoins, le côté subjectif et sentimental de celui-ci a été souligné par Volodine. Lianke nous a fait part de son admiration pour Volodine qui parvient à situer ses histoires n'importe où tandis qu'il a, lui, besoin de revenir dans son pays natal. Volodine vante à son tour l'imagination de Yan Lianke. Ils ont alors pu constater que leurs styles d'écriture sont complètement différents. Il a pu nous annoncer qu'il prévoit un autre livre pour 2013.
 
Gérard Meudal a ensuite orienté le débat sur la question du statut de l'écrivain. Lianke considère que les occidentaux peuvent exprimer une réalité complexe par une écriture simple et les orientaux par une écriture complexe. Il explicite alors plus en détail le cas spécifique de la Chine: l'écrivain professionnel est en effet payé par l'État pour écrire, alors qu'en France, l'écrivain est payé pour ce qu'il écrit. Certains de ses livres ont subi une censure. Ce qui l'amène à dire que l'écrivain est protégé par le gouvernement chinois, contrairement à l'éditeur qui, quant à lui, peut être menacé d'une amende. Lianke insiste sur le progrès de la situation de l'écrivain en Chine depuis trente ans.
La conférence s'est terminée par un échange avec le public, ainsi que la lecture d'un extrait de l'une des oeuvres de chaque auteur : Les anges mineurs, de Volodine, et Les quatre livres, pour Lianke.
Léa DILAS, Manon DJEMILI, Florian ESSONO, Juliette FAYOLLET

1 commentaire:

  1. En Chine, l'écrivain est sans contact avec ses lecteurs, et Yan Lianke nous traduit sa frustration de ne pas pouvoir passer pour quelqu'un de bien; ce qui lui importe alors le plus: la façon et le comment d'écrire, plutôt que ce qu'il écrit. "Les quatre livres"disent les camps du Grand bond en avant,1958/62, durant lesquels chaque village se donnait aux flammes de son bas-fourneau, en bordure du champ engraissé des déjections des hommes. Le feu mange la forêt et les hommes déjà meurent en masse; ces années-là sont incontournables, comme l'est notre épopée du concentrationnaire nazi: impensable d'alors,impubliable d'hier; le quotidien, l'horreur, puis le livre: Lianke est né en ces années de trente millions de morts. Un char roule sur des amas d'os, ceux de trois mille professeurs, un savoir resté dans le désert, le sable de l'auto-censure. Dans l'autre empire, de terreur blanche, les poètes fracassés ne s'auto-censurent pas, mais produisent en mourant; en Chine l'écrivain subit le parasitisme de l'idéologie dominante; en chinois, d'ailleurs,"territoire" et "enfer" sont phonétiquement très proches... Le sang des chinois réduit leur champ de conscience, quand l'anémie russe d'une Tsvetaïeva s'offrait au merveilleux; le risque du silence vaut-il mieux que le compromis ?

    Les glaneurs ne sont pas vus d'un bon oeil, et Lianke doit plonger toutes ses histoires dans sa terre natale. Mais quelle est la pertinence de la biographie d'un auteur ? Quelle est son hypostase ? Que traduit l'écrivain qui écrit encore en sa propre langue ? Quelle délocalisation dans celui qui pousse à l'extrême sa langue maternelle, refusant tout lieu ? Volodine structure l'écheveau, mais d'autres écrivent à sa place, sa seule parole de certitude est écrite. Il est né, pour sûr, au milieu du siècle de la terreur, et ses combattants en ont cette mémoire, chamaniquement nous revivons les malheurs de l'humanité, le moyen de l'écrire vient, lui, des émotions de l'enfance. Les guerres, les années 30 en Russie, les vingt millions de morts de la grande guerre patriotique de libération du nazisme... seules des bribes ont été transmises, une sensibilité aussi, une pâte: quel que soit le décors traversé, plus ou moins étrange, c'est un tissu qui est hanté d'une familiarité, celle de la tragédie humaine. Une multiplicité de voix s'organise dans le collectif post-exotique, toutes sont celles de combattants, elles ne sont pas en opposition comme chez les hétéronymes de Pessoa, même si la trame des quarante-neufs manuels à venir a été dressée en Lisbonne. Le post-exotisme est une fabrique collective, tous les écrivains sont dans une prison imaginaire, jusqu'à la mort, chacun à l'isolement, ils doivent dialoguer sous les portes, en poèmes épiques parfois, d'une encre noire souvent qui s'écoule, et toujours en remuant le charnier plutôt que de tomber dessus sans résistance: tous combattants.

    Il n'est plus bien sûr de nations, la littérature circule les terres de la planète. Volodine, lui, vit dans et par ses histoires, c'est là sa voix et sa biographie réelle, il ne raconte rien, il ne fait que circuler. Le livre des morts tibétain est pour lui un guide pratique de cette circulation dans l'entre-deux, il ne s'agit aucunement d'une croyance, mais d'un voyage, organisé. Un trope intense. Un accès par le noir de source, au fond des corps mutilés, pour pouvoir, enfin, se déplacer; des étages dans ces lieux sans plus de dimensions, où l'on circule par le souvenir de la douleur de tous. Mais un rythme, un murmure, une inflammation, un brouillage essentiel du vivre en cette internationale combattante, sans plus d'interne ni d'externe. Plus de corps, seuls des insanes, des morts, des analphabètes, des "untermenschen" et qui s'en revendiquent, qui sont le tissu, sans plus d'organes; reste que si une femme existe, tout de suite un lieu redevient possible...

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