lundi 22 octobre 2012

Hommage à Carlos Fuentes d’Anne Alvaro


C’est sous ce ciel gris en ce dimanche après midi que s’est déroulée la lecture d’Anne Alvaro en hommage à Carlos Fuentes, précédée d’un court documentaire sur l’auteur lors de son passage à Aix-en-Provence en 2011.
Il s’agissait du premier chapitre de Terra Nostra une de ses œuvres majeures. Alors qu’une nouvelle journée à Paris commence pour Paulo, il va rapidement être entrainé dans un tourbillon d’évènements hors du commun. Accouchement d’une femme de 90 ans, omniprésence d’une fumée inquiétante, agitation incongrue dans les rues de la ville, femme aux lèvres tatouées…
Cette lecture à été prise à l’initiative d’Annie Terrier qui, très affectée par la mort de Carlos Fuentes, a voulu lui rendre un dernier hommage ainsi que ses lecteurs. Venue spécialement de Nancy,  nous avons eu le plaisir de rencontrer Anne Alvaro qui a partagé avec nous ses impressions. Très émue, elle a exprimé tout son respect envers Carlos Fuentes au travers d’une lecture pleine de sensibilité et d’honnêteté sachant donner l’impression qu’elle découvrait le texte pour la première fois. Anne Alvaro nous a confié qu’elle souhaitait que sa lecture rime avec « innocence, ébahissement et partage »… pari réussi !
Cet hommage à Carlos Fuentes est une admirable façon de clore cette fête du livre : durant un temps ce grand auteur était de nouveau parmi nous.

Claire Garcia, Justine Giot, Chloé Garillot, Noémie Flores

Masterclass avec Yan Lianke


Le 21 octobre à 10h, une rencontre avec Yan Lianke a eu lieu. Le public a ainsi pu poser des questions à l'auteur. Voici le résumé de cet échange :

Quels sont ses influences et les auteurs qui l'ont inspiré dans son œuvre ?

À 20 ans, étant employé comme bibliothécaire dans l'armée, il a pu lire des auteurs français tel que Balzac, Hugo, Flaubert ou Stendhal qui lui ont fait prendre goût à la littérature du XIXème siècle.

À 32 ans, alité à cause d'une grave maladie, il se met à lire des auteurs du Xxème siècle comme Kafka, Camus, Beckett ou Robbe-Grillet. Il estime que ces écrivains ont «au fond d'eux même un sens de la maladie », une vision différente de la vie qui leur permet d'avoir une autre perspective du monde qui les entoure.

À 40 ans toutefois, il pense qu'il ne pourra jamais les égaler, et ne peut plus dire qui il préfère. Il se remet en question et reporte son intérêt sur le peuple chinois : « Lire les hommes et lire leur cœur, voilà peut être la meilleure lecture pour un écrivain. » Il commence aussi à lire l'oeuvre d'Antoine Volodine, pour laquelle il se fascine.

Quel travail de documentation effectue-t-il ? Rencontre-t-il des problèmes lors de ses recherches ?

Yan Lianke ne fait jamais de recherche documentaire. Il a toujours quatre ou cinq histoires qu'il a besoin de raconter, et hésite constamment sur laquelle il va commencer. Son problème n'est pas de savoir quoi écrire mais de savoir par quelle histoire commencer et comment la raconter.
Il peut passer six mois sans écrire, pas parce qu'il n'a pas d'inspiration mais parce qu'il ne sait pas comment l'exprimer.

Quel rôle a joué l'armée dans sa vie et dans son œuvre ?

Après avoir été refusé à la prestigieuse université de Pékin, Yan Lianke a intégré l'armée dans le but de quitter la campagne et de manger à sa faim. Ces vingt-six années passées dans l'armée ont profondément changé sa vie.
Pour pouvoir être publié dans l'armée, il est obligé d'écrire des livres opposés à ses idées. Il trouve la liberté d'écriture au travers le sujet de la vie paysanne en Chine. C'est suite à la publication de Bons baisers de Lénine qu'il se fait renvoyer de l'armée.

Pourquoi ces vingt-six années ont-elles été importantes pour lui ?

Ces années ont été pour lui un échappatoire à la famine et à la pauvreté de la campagne chinoise. Son statut d'officier lui a à permis d'avoir une meilleure situation et de rencontrer sa femme.
Pendant ces années il a été témoin d’événements qui l'ont profondément marqués et qui sont aujourd'hui autant d'inspiration pour ses œuvres.

Que pense son entourage de son œuvre ?

Ayant des parents illétrés, ceux-ci n'ont jamais pu le lire. Ces frères et sœurs ne le lisent pas car ils préféreraient qu'il soit journaliste au « Quotidien du Peuple » (plus grand journal de Chine) ou mandarin (cadre dans la société chinoise).
Actuellement, chaque livre qu'il écrit provoque l'embarras de son entourage : « Personne ne trouve ça bien dans mon pays. »

À cause de la polémique que crée son œuvre, n'a-t-il jamais eu envie de quitter la Chine ?

« Non, jamais. »
Il trouve qu'il y a une trop grande différence de culture en l'Orient et l'Occident. Il pense que s'il s'installait en Occident il pourrait perdre son style d'écriture.
De plus aujourd'hui il a une vie tout à fait convenable dans son pays : les écrivains chinois jouissant de beaucoup plus de liberté en Chine qu'il y a trente ans.

dimanche 21 octobre 2012

Conclusion de la fête du livre

C'est avec une météo capricieuse que s'est terminée la fête du livre en ce dimanche 21 octobre.

Après 4 jours de débats passionnants autour des bruits du monde, chaque auteur a su se faire entendre à travers des échanges avec le public, le tout agrémenté de séances de cinéma et d'expositions sur ce thème, notamment avec la présence de Raymond Depardon et de Claudine Nougaret.

Un public et des auteurs visiblement heureux de la manifestation, des auteurs satisfaits d'avoir pu parler librement et d'avoir partagé avec une audience attentive, voilà le résultat de ces 4 jours de fête. Antoine Volodine nous a ainsi confié le plaisir qu'ont eu les auteurs à participer à ces rencontres et de partager avec leurs lecteurs.

Chaque auteur a su traiter du thème de façon personnelle, nous rappelant l'importance primordiale de l'imagination pour l'écrivain, qui n'est pas qu'un commentateur politique.

Le public, lui, a été très touché de découvrir les témoignages des écrivains.

Cette 29ème édition se termine par un hommage à Carlos Fuentes sous la forme d'une lecture de Terra Nostra par Anne Alvaro.

Un grand merci à l'équipe des Écritures Croisées, ainsi qu'à l'ensemble des participants pour cette manifestation qui s'est déroulée sans accros.

Pauline Jérôme, Laurie Lajara, Zoë Leclerc, Paul Le Masson et Aurélie Maïto.

Rencontre entre Yan Lianke et Antoine Volodine

A 15 heures 30, nous avons eu le privilège de pouvoir assister à la rencontre entre Antoine Volodine et Yan Lianke. 
Dans un premier temps, les auteurs ont comparé leurs ouvrages. Ils nous ont exposé les points communs et les différences entre leurs œuvres respectives. Yan Lianke a pu lire la traduction chinoise de l'œuvre de Volodine. Ce dernier a beaucoup écrit en Chine (comme Le nom du singe). Lianke observe le fait que les deux écrivains ont adopté le point de vue d 'observateur, néanmoins, le côté subjectif et sentimental de celui-ci a été souligné par Volodine. Lianke nous a fait part de son admiration pour Volodine qui parvient à situer ses histoires n'importe où tandis qu'il a, lui, besoin de revenir dans son pays natal. Volodine vante à son tour l'imagination de Yan Lianke. Ils ont alors pu constater que leurs styles d'écriture sont complètement différents. Il a pu nous annoncer qu'il prévoit un autre livre pour 2013.
 
Gérard Meudal a ensuite orienté le débat sur la question du statut de l'écrivain. Lianke considère que les occidentaux peuvent exprimer une réalité complexe par une écriture simple et les orientaux par une écriture complexe. Il explicite alors plus en détail le cas spécifique de la Chine: l'écrivain professionnel est en effet payé par l'État pour écrire, alors qu'en France, l'écrivain est payé pour ce qu'il écrit. Certains de ses livres ont subi une censure. Ce qui l'amène à dire que l'écrivain est protégé par le gouvernement chinois, contrairement à l'éditeur qui, quant à lui, peut être menacé d'une amende. Lianke insiste sur le progrès de la situation de l'écrivain en Chine depuis trente ans.
La conférence s'est terminée par un échange avec le public, ainsi que la lecture d'un extrait de l'une des oeuvres de chaque auteur : Les anges mineurs, de Volodine, et Les quatre livres, pour Lianke.
Léa DILAS, Manon DJEMILI, Florian ESSONO, Juliette FAYOLLET

Les cinq écrivains de la table ronde

Le 20 octobre 2012 à 17h30 s'est tenu dans l'amphithéâtre de la Verrière, une conférence réunissant les cinq invités principaux de cette fête du livre que sont les écrivains Yan Lianke, Peter Esterhazy, Antoine Volodine, Juan Goytisolo et David Grossman. Une conférence animé par Pierre Haski, journaliste pour Libération.

Yan Lianke a ouvert le débat en abordant le thème de la tragédie du sang vécue en Chine. Il fait bien remarquer qu'il n'est pas un écrivain "combattant" mais plutôt un "chiffonnier de la littérature". Il se considère comme un auteur abordant des sujets rejetés par les autres écrivains. Il est donc souvent critiqué dans son pays natal tout comme Mo Yan (prix Nobel de littérature 2012) qu'il considère comme un grand écrivain. Il se félicite que ce prix soit décerné à un chinois car il permet la reconnaissance de la littérature de son pays.

Le deuxième intervenant a été Péter EsterházyPour lui, tout devient politique sous une dictature, plus rien n'existe en dehors. "La langue de la dictature, c'est le silence". La littérature sous une dictature n'est donc plus importante en soi, elle n'est qu'un instrument du pouvoir en place. Esterházy évoque son pays, la Hongrie, qui a subi une dictature pendant quarante ans et qui porte encore les stigmates du silence. Dans cette continuité il affirme que "le roman nait du silence".

Grossman enchaîne en appuyant le fait qu'il est nécessaire pour un écrivain de nuancer les bruits du monde. Pour lui il faut absolument s'extraire de la masse médiatique qui représente "un lavage de cerveau" pour recueillir les points de vue les plus divers possibles, que ce soit de la part d'étranger, d'allié, d'ennemi...C'est la tâche de la littérature de récupérer l'individualité arrachée par les médias. C'est en tout cas la manière qu'il utilise pour rédiger ses ouvrages, notamment sur le conflit israélo-palestinien (ex : Le vent jaune). Grossman pense qu'être écrivain, c'est "chercher à être envahi par les autres pour les comprendre".

Juan Goytisolo rejoint le point de vue de Grossman sur la nécessité de nuancer ses propos et ses actes. Il prend comme exemple ses implications dans les conflits espagnols, cubains ou tchétchènes. Après son troisième voyage à Cuba en 1965 il s'est rendu compte qu'il devait être plus prudent dans ses engagements politiques. Il réfute le patriotisme et pense qu'il est nécessaire de se remettre constamment en cause. Goytisolo nous confie qu'il est qualifié de "gigolo international" par les censeurs.

Antoine Volodine capte les bruits du monde, les filtre, à travers internet puis par des voyages notamment en Chine. Pour lui les sources des bruits proviennent de la littérature. Car grâce à elle on peut apprendre, comprendre et s'approprier les différentes régions de la planète. Volodine estime que nous sommes tous des citoyens du monde et réfute le nationalisme (cette remarque a d'ailleurs suscité la réaction de Péter Esterházy qui estime qu'à partir du moment où l'on parle une langue nationale, on représente son pays).

Antoine Volodine évoque ses rêves en fin de débat ce qui soulève de la part de Pierre Haski une question de conclusion à savoir : quels sont les rêves et les objectifs des cinq auteurs? Pour Antoine Volodine il faut créer une société égalitaire où tous les Hommes auraient les mêmes chances dès la naissance. David Grossman souhaite simplement écrire de bons livres. Yan Lianke aimerait pouvoir se situer dans la littérature chinoise au milieu de la dizaine de milliers d'auteurs existants. Juan Goytisolo souhaite la diminution des écarts entre pays riches et pays pauvres, bien qu'il sache que c'est une utopie. Péter Esterházy aimerait réussir à écrire "une histoire simple de cent pages" ce qu'il n'a jamais fait jusqu'à maintenant.


Pierre Petitdemange, Anaëlle Van Rhijn, Amandine Torrigiani, Gwenaël Portes

samedi 20 octobre 2012

Rencontre avec Yan Lianke



Cette après-midi du 20 octobre 2012, à 15h, une rencontre avec Yan Lianke a eu lieu, dans l'amphithéâtre de la Verrière ; du haut de ses 54 ans, l’auteur avoue avoir trouvé son nouveau paradis : notre belle ville d’Aix-en-Provence, avec son beau ciel, son beau soleil, son beau cadre.
Touché par la population aixoise (parce qu’un bus leur a cédé le passage à sa femme et lui sur un passage piéton, alors que cet évènement n’arriverait pas en Chine, nous prévient-il), Yan Lianke reconnait aussi avoir été touché par les lecteurs constituant son public français ; il se trouve qu’ici, les lecteurs aiment ses livres, contrairement à son pays natal qui ne reconnait pas son travail d’une part, et le voit d’un fort mauvais œil d’autre part (il confesse d’ailleurs que les regards que porte la Chine sur lui le mettent mal à l’aise). Il est tellement mal perçu que certains de ses livres n’ont jamais été publiés ; pire que ça, il s’est parfois vu interdit de déplacement pour ses écrits jugés contestataires et subversifs.
Son regard féroce et ironique sur ce qu’est la Chine pousse les autorités à censurer quelques uns de ses livres ; seuls ses romans lyriques (qui sont des textes méditatifs), écrits au début de sa carrière et très prisés dans son pays, sont publiés sans encombres.

Par la suite, Yan Lianke se met à rédiger des romans longs tel Bons Baisers de Lénine ou Rêve du village des Ding.
Son dernier roman Les quatre livres est commencé en 2000. En 2001, lorsqu’il l’envoie à vingt de ses amis éditeurs son manuscrit, Yan Lianke se le voit retourner (quoiqu’il s’en doutait) avec pour réponse : « Monsieur Yan, nous espérons que vous nous pardonnerez – vous savez pourquoi on le refuse ».
Plusieurs autres éditeurs auront la même réaction.
Il trouvera tout de même le moyen de faire publier ce livre à Taïwan, Hong Kong ainsi qu’en France. La France, qui représente pour lui le voyage porteur de la plus grande joie puisqu’ici le lectorat s’intéresse d’avantage à la façon dont a été écrit le livre qu’à son contenu ; c’est un véritable bonheur pour cet auteur qui confie que ce qui importe dans ce dernier livre, c’est bien la manière dont a été rédigé l’ouvrage, plus que ce qu’il transmet.

La situation éditoriale chinoise est complexe ; beaucoup de sujets sont à éviter si l’on souhaite être publié. La censure plane sur les auteurs chinois et si la Terreur Blanche de Russie a permis de faire émerger de grands auteurs russes, cela ne s’est pas passé ainsi dans le cas de la Chine, à cause  notamment de l’autocensure, phénomène inconscient et instinctif dans plusieurs cas.
A titre d’exemple, les « trois années de calamités » ont conduits 30 millions de chinois à mourir de faim, soit approximativement la population d’un pays entier, comme Singapour (cité-Etat de l’Asie de l’est).
Cette situation provoquant des sentiments d’horreur pour les uns s’est trouvée être la réalité de la Chine, de sorte qu’aujourd’hui encore, le pays porte ce tourment en son sein. Toute personne de plus de 60 ans conserve en elle une part de cette tristesse et un sentiment d’insécurité qui en découle, alors que cet évènement est désormais passé sous silence et guère mentionné durant l’éducation scolaire des jeunesses d’aujourd’hui. C’est une question sur laquelle on ne peut écrire si l’on souhaite être publié, comme le précise Monsieur Yan, et pourtant cette question est inévitable lorsqu’on l’a vécue. Aborder ce problème lui permet d’être « à la hauteur de sa conscience ». L’auteur se doit d’être fidèle à la vie, à la réalité,  à la vérité – il ne peut mentir, nous dit Yan Lianke.
Afin de ne pas avoir de regret sur son lit de mort, Yan Lianke est décidé à écrire ce qu’il veut,  à ne pas s’autocensurer pour ne pas avoir la sensation d’avoir vécu pour rien : « j’ai décidé d’écrire ce que je veux, de la façon que je veux ».

Les quatre livres n’a pas été directement publié dans le pays mais introduit en Chine occidentale depuis Taïwan ; cet ouvrage résulte d’une volonté de transmettre un souvenir vieux de plus de 20 ans, celui de son camarade de chambre à l’armée, tankiste.
Celui-ci lui rapporte qu’un jour, tandis qu’il s’entrainait dans le désert, il réalisât qu’ils roulaient sur des os. Après vérification, il s’avérât qu’il s’agissait d’ossements humains.  Après avoir effectué des recherches sur le sujet, l’auteur découvrit qu’à cet endroit du désert avait été abandonné les corps de 2 à 3 000 professeurs d’universités. C’était des gens étiquetés de droite qui furent envoyés dans des camps de rééducation.

L’intrigue prend donc place dans un camp de rééducation. Il convient de noter qu’aucun des personnages n’a de nom ; ils sont désignés par leur profession, soulignant ainsi le fait qu’ils ne sont pas des êtres humains mais seulement des êtres vivants contraints de vivre. Ceci désignerait, selon Yan Lianke, la condition des intellectuels chinois.
Parmi les personnages présents dans le roman, l’écrivain est le plus lâche, le plus délateur et opportuniste de tous ; l’auteur voit dans cette métaphore la symbolique des intellectuels (quel que soit leur horizon) incapables de faire preuve d’une capacité à se révolter. Il dénonce la lâcheté des auteurs, cette même lâcheté qui leur permet de survivre.  

La volonté d’écrire sur ce sujet apparait il y a cinq ou six ans, alors qu’il déambule dans les rues de Pékin ; il se prend à s’imaginer avec un révolver à la main, arrêtant les passants les uns après les autres pour leur demander de lui tirer dessus.
L’Enfant, avec un E majuscule, personnage phare du livre, fera la même chose.
Cet Enfant venu du ciel libèrera les prisonniers du camp et sera crucifié, tel Jésus. La religion est très présente dans cette œuvre comme dans les autres ; il se trouve que tous les écrits de Yan Lianke sont traversés par des références bibliques ou au moins sacré. Il va jusqu’à citer des passages de la Genèse ainsi qu’à retranscrire le mythe de Sisyphe à la fin de du livre ; il est alors question de « mytho-réalité », de l’adaptation d’un supplice mythologique à la réalité humaine, c’est une réadaptation.
Cette réadaptation met en exergue le rapport de l’auteur à la religion, sujet primordial en Orient. Il s’avère en effet que les chinois, après avoir longtemps cru au communisme, se sont vu dépourvus d’une quelconque religion à laquelle se raccrocher depuis sa chute.
Selon l’auteur, la religion aiderait son peuple à surmonter les tourments qui les accablent, tant « la vie est dure pour les gens bons » ; et si le christianisme, introduit au XVIe siècle, n’est pas encouragé quoiqu’il soit présent dans les campagnes, le bouddhisme quant à lui, l’est de plus en plus. Le christianisme n’est, à ce titre, jamais (ou presque) mentionné dans la littérature chinoise.

Un autre aspect est à souligner dans son œuvre : la présence de la nature.
Cette omniprésence s’explique par l’histoire de l’auteur ; étant né à la campagne et afin d’échapper à la nature, il se réfugie en ville. Cette fuite le plonge dans un sentiment d’impossible retour vers elle et c’est pourquoi il écrit tant à son sujet, la mentionne si fréquemment – c’est un moyen de lui témoigner son amour, sa fascination et sa vénération. Ce n’est pas que qu’elle l’inspire, c’est plutôt qu’il la regrette depuis qu’il évolue dans « une ville de béton ».

Sachez en tout cas, lecteurs, que son épouse cuisine très bien  et que « ceux qui s’intéressent à ma littérature, je les invite à venir chez nous et elle leur fera à manger – ceux qui n’auront pas lu mes livres auront droit à une tasse de thé ou une tasse de café ».
Sous une pluie d’applaudissement, il se leva et salua.
Une bien belle rencontre finissait. 


Lucile Richard.


Lectures d'oeuvres de Yan Lianke et Antoine Volodine

     La première lecture de l'après-midi a eu lieu à l'amphithéâtre de la Verrière. Pit Goedert a assuré la lecture d'un court extrait du dernier roman Les Quatres Livres de Yan Lianke.

     Yan Lianke est un écrivain chinois né en 1958 dans la province du Henan. Son engagement dans l'armée lui a permis à la fois de payer ses études et de faire ses débuts en tant qu'écrivain. Il est très engagé politiquement au sein de son pays, et subit constamment la censure. Les Quatres Livres aborde la période du Grand Bond en avant (renforcement de la productivité à son maximum afin de "rattraper l'Angleterre et surpasser les Etats-Unis"), pendant les années 90, en nous racontant les horreurs quotidiennes vécues par la population.

     Ce roman est un témoignage de M.Yan sur cette époque sinistre où plus de 30 millions de chinois sont morts de faim. Dans l'extrait qui nous a été lu, le personnage cultive son champ de blé grâce à son propre sang arrivant ainsi à obtenir une moisson importante. Mais soudain une tempête ravage sa récolte. Il se retrouve alors démuni, affaibli "comme un enfant sanglotant, abandonné au milieu de la nature". Pit Goedert a su, par sa lecture, faire ressentir toute la puissance et l'émotion du texte. Récit qui reste ancré en nous, nous laissant ce goût presque vécu, presque tragique, qui nous hante tout au long de la rencontre.

     On retrouve dans cet extrait, tout l'aspect sensible, humble, respectueux, reconnaissant, et courageux de l'auteur. Lianke a transcendé l'assistance par la force de ses mots, la laissant subjuguée. C'est avec une grande modestie qu'il s'incline devant le public qui ne cesse de l'acclamer.


     Antoine Volodine est un écrivain français mystérieux aux multiples noms de plumes et à la personnalité complexe. Auteur de nombreux ouvrages, il a remporté le Prix du Livre Inter pour Des anges mineurs.

     Il prête aujourd'hui sa voix à Écrivains, son dernier livre, donnant ainsi un aspect à la fois plus doux et violent à son œuvre.

     Sa lecture, sa voix nous emporte dans un univers oppressant, pesant, de souffrance mentale. Les mots sont martelés, répétés, "frappés". Alternés par des moments d'accalmie.
L'auteur nous enferme dans les ténèbres, les souvenirs de prisonniers réduits à l'état animal, recherchant encore et encore l'autre, l'image, les mots, frappant "à l'intérieur de la cellule".
Prisonniers portant le nom de ses pseudonymes, dont il met en scène la séquestration dans un "espace noir".

     A ces derniers mots, sa voix suspendue dans l'amphithéâtre, laisse son auditoire figé et silencieux. Enfin, le public ému, l'acclame chaleureusement.