vendredi 19 octobre 2012

Rencontre avec Péter Esterházy

Dès 15h ce vendredi 19 octobre, dans l'amphithéâtre de la Verrière, le public de la Fête du livre a pu rencontrer Péter Esterházy, guidé par des questions de Gérard Meudal.
L'écrivain hongrois est né en 1950 à Budapest, dans une grande famille aristocratique déchue par le régime communiste. C'est en cela que le moment de sa naissance lui paraît idéal : les Esterházy venaient de perdre leurs privilèges, mais ce bouleversement était encore assez récent pour que les aînés du jeune Péter l'abreuvent de récits de leur passé. Né un peu plus tard, il n'aurait jamais eu connaissance de ce monde; né un peu plus tôt, il aurait vécu "l'existence ennuyeuse d'un comte socialement sensible". Ces circonstances le placent dans une position de mémoire adaptée à l'écrivain.
Les Esterházy constituent l'une des plus importantes lignées hongroises, et même européennes, dont l'histoire recoupe celle de leur pays et de leur continent. La conscience de la complexité de cette structure nourrit l'oeuvre de l'auteur, car elle lui a permis de construire une relation concrète avec le temps et l'histoire.
Pour autant, Péter Esterházy n'est pas un écrivain de la gravité. La frivolité est pour lui une notion d'importance, qu'il s'attache à conserver, bien que cela lui semble de plus en plus difficile. Son Discours de paix (dont le comédien Pit Goedert a lu un extrait cet après-midi), prononcé à Francfort lors de sa consécration par le prestigieux Prix des libraires allemands, l'illustre parfaitement : face à "tout ce que la culture allemande a de sérieux", il a voulu louer la légèreté. 
Sûrement en réaction à une tradition littéraire hongroise datant du XIXe siècle, qui veut que "les personnages n'[aient] pas de corps", qu'ils ne soient que des têtes pleines d'idées telles le nationalisme, selon la description de Péter Esterházy. Mais le sérieux n'est pas toujours que bêtise et rigidité; l'auteur est convaincu qu'il peut se doter d'une dimension ludique salvatrice.
En effet, le sérieux s'incarne dans le jeu, auquel s'apparentent "les trois choses que [l'écrivain a] faites dans [sa] vie : jouer au football, étudier les mathématiques, et écrire". Chacune de ces disciplines comporte des règles qui ne sont valables et pertinentes que dans le champ qui la concerne. Et lorsqu'elles s'appliquent, plus rien n'existe que le jeu, quelle que soit la forme qu'il prend. Du moins lorsque l'on joue sérieusement. Sur le même schéma, un bon romancier se doit de faire croire en ce qu'il écrit; un bon lecteur s'efforcera de se laisser prendre au jeu. Ainsi, "nul lecteur sérieux de Flaubert ne serait surpris de croiser Mme Bovary dans la rue". 
 Lorsque interrogé sur ses méthodes, Péter Esterházy affirme écrire comme au XIXe siècle ("tel Flaubert, mais pas aussi bien", selon sa formule): à la main, dans un cahier. Les double-pages de ce dernier lui permettent d'inscrire son texte à droite et son auto-critique (le plus souvent sévère) en miroir. Il écrit donc deux fois au minimum, ce qui lui paraît rarement suffisant; ses horaires s'apparentent à "ceux d'un employé de bureau".
Il dit de son écriture qu'elle est très centrée sur le mot, et affirme que la place de ce dernier, relativement aux autres, est très importante. L'écriture manuscrite lui permet de la préserver; il estime que les pratiques qui vont à l'encontre, comme le copier-coller, sont dangereuses: la signification du déplacement n'est plus tangible.
Cette réflexion est peut-être un héritage de l'écriture sous la dictature, qui force à "faire parler entre les lignes", et où la place de chacune est donc plus capitale encore. En effet, la langue de la dictature est le silence, mais la littérature naît par-dessus, car elle est rusée: elle invente alors la langue métaphorique, joue sur les connotations, tait certaines choses pour mieux faire sentir leur absence, comme la liberté perdue. C'est un contexte particulier, dans lequel les gens lisent des livres car il s'agit du seul média qui peut contourner la censure. Ces lecteurs, qui lisaient pour la liberté, disparaissent lorsque la démocratie est rétablie, et se tournent vers les journaux.
Car le roman et la presse n'évoluent pas sur le même plan : comme l'a exprimé Esterházy, la précision du premier ne coïncide pas avec celle de la réalité. L'écrivain se doit d'y injecter la frivolité sérieuse du jeu dont il a été question, s'il veut que l'intérêt de son oeuvre perdure : la littérature qui n'est que politique est en effet condamnée à mourir en même temps que ce qu'elle dénonce. 
C'est ce que Péter Esterházy a su faire tout au long de l'entretien, grâce à son humour.

Claire Berry
Shirine Benarab

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