samedi 20 octobre 2012

Rencontre avec Yan Lianke



Cette après-midi du 20 octobre 2012, à 15h, une rencontre avec Yan Lianke a eu lieu, dans l'amphithéâtre de la Verrière ; du haut de ses 54 ans, l’auteur avoue avoir trouvé son nouveau paradis : notre belle ville d’Aix-en-Provence, avec son beau ciel, son beau soleil, son beau cadre.
Touché par la population aixoise (parce qu’un bus leur a cédé le passage à sa femme et lui sur un passage piéton, alors que cet évènement n’arriverait pas en Chine, nous prévient-il), Yan Lianke reconnait aussi avoir été touché par les lecteurs constituant son public français ; il se trouve qu’ici, les lecteurs aiment ses livres, contrairement à son pays natal qui ne reconnait pas son travail d’une part, et le voit d’un fort mauvais œil d’autre part (il confesse d’ailleurs que les regards que porte la Chine sur lui le mettent mal à l’aise). Il est tellement mal perçu que certains de ses livres n’ont jamais été publiés ; pire que ça, il s’est parfois vu interdit de déplacement pour ses écrits jugés contestataires et subversifs.
Son regard féroce et ironique sur ce qu’est la Chine pousse les autorités à censurer quelques uns de ses livres ; seuls ses romans lyriques (qui sont des textes méditatifs), écrits au début de sa carrière et très prisés dans son pays, sont publiés sans encombres.

Par la suite, Yan Lianke se met à rédiger des romans longs tel Bons Baisers de Lénine ou Rêve du village des Ding.
Son dernier roman Les quatre livres est commencé en 2000. En 2001, lorsqu’il l’envoie à vingt de ses amis éditeurs son manuscrit, Yan Lianke se le voit retourner (quoiqu’il s’en doutait) avec pour réponse : « Monsieur Yan, nous espérons que vous nous pardonnerez – vous savez pourquoi on le refuse ».
Plusieurs autres éditeurs auront la même réaction.
Il trouvera tout de même le moyen de faire publier ce livre à Taïwan, Hong Kong ainsi qu’en France. La France, qui représente pour lui le voyage porteur de la plus grande joie puisqu’ici le lectorat s’intéresse d’avantage à la façon dont a été écrit le livre qu’à son contenu ; c’est un véritable bonheur pour cet auteur qui confie que ce qui importe dans ce dernier livre, c’est bien la manière dont a été rédigé l’ouvrage, plus que ce qu’il transmet.

La situation éditoriale chinoise est complexe ; beaucoup de sujets sont à éviter si l’on souhaite être publié. La censure plane sur les auteurs chinois et si la Terreur Blanche de Russie a permis de faire émerger de grands auteurs russes, cela ne s’est pas passé ainsi dans le cas de la Chine, à cause  notamment de l’autocensure, phénomène inconscient et instinctif dans plusieurs cas.
A titre d’exemple, les « trois années de calamités » ont conduits 30 millions de chinois à mourir de faim, soit approximativement la population d’un pays entier, comme Singapour (cité-Etat de l’Asie de l’est).
Cette situation provoquant des sentiments d’horreur pour les uns s’est trouvée être la réalité de la Chine, de sorte qu’aujourd’hui encore, le pays porte ce tourment en son sein. Toute personne de plus de 60 ans conserve en elle une part de cette tristesse et un sentiment d’insécurité qui en découle, alors que cet évènement est désormais passé sous silence et guère mentionné durant l’éducation scolaire des jeunesses d’aujourd’hui. C’est une question sur laquelle on ne peut écrire si l’on souhaite être publié, comme le précise Monsieur Yan, et pourtant cette question est inévitable lorsqu’on l’a vécue. Aborder ce problème lui permet d’être « à la hauteur de sa conscience ». L’auteur se doit d’être fidèle à la vie, à la réalité,  à la vérité – il ne peut mentir, nous dit Yan Lianke.
Afin de ne pas avoir de regret sur son lit de mort, Yan Lianke est décidé à écrire ce qu’il veut,  à ne pas s’autocensurer pour ne pas avoir la sensation d’avoir vécu pour rien : « j’ai décidé d’écrire ce que je veux, de la façon que je veux ».

Les quatre livres n’a pas été directement publié dans le pays mais introduit en Chine occidentale depuis Taïwan ; cet ouvrage résulte d’une volonté de transmettre un souvenir vieux de plus de 20 ans, celui de son camarade de chambre à l’armée, tankiste.
Celui-ci lui rapporte qu’un jour, tandis qu’il s’entrainait dans le désert, il réalisât qu’ils roulaient sur des os. Après vérification, il s’avérât qu’il s’agissait d’ossements humains.  Après avoir effectué des recherches sur le sujet, l’auteur découvrit qu’à cet endroit du désert avait été abandonné les corps de 2 à 3 000 professeurs d’universités. C’était des gens étiquetés de droite qui furent envoyés dans des camps de rééducation.

L’intrigue prend donc place dans un camp de rééducation. Il convient de noter qu’aucun des personnages n’a de nom ; ils sont désignés par leur profession, soulignant ainsi le fait qu’ils ne sont pas des êtres humains mais seulement des êtres vivants contraints de vivre. Ceci désignerait, selon Yan Lianke, la condition des intellectuels chinois.
Parmi les personnages présents dans le roman, l’écrivain est le plus lâche, le plus délateur et opportuniste de tous ; l’auteur voit dans cette métaphore la symbolique des intellectuels (quel que soit leur horizon) incapables de faire preuve d’une capacité à se révolter. Il dénonce la lâcheté des auteurs, cette même lâcheté qui leur permet de survivre.  

La volonté d’écrire sur ce sujet apparait il y a cinq ou six ans, alors qu’il déambule dans les rues de Pékin ; il se prend à s’imaginer avec un révolver à la main, arrêtant les passants les uns après les autres pour leur demander de lui tirer dessus.
L’Enfant, avec un E majuscule, personnage phare du livre, fera la même chose.
Cet Enfant venu du ciel libèrera les prisonniers du camp et sera crucifié, tel Jésus. La religion est très présente dans cette œuvre comme dans les autres ; il se trouve que tous les écrits de Yan Lianke sont traversés par des références bibliques ou au moins sacré. Il va jusqu’à citer des passages de la Genèse ainsi qu’à retranscrire le mythe de Sisyphe à la fin de du livre ; il est alors question de « mytho-réalité », de l’adaptation d’un supplice mythologique à la réalité humaine, c’est une réadaptation.
Cette réadaptation met en exergue le rapport de l’auteur à la religion, sujet primordial en Orient. Il s’avère en effet que les chinois, après avoir longtemps cru au communisme, se sont vu dépourvus d’une quelconque religion à laquelle se raccrocher depuis sa chute.
Selon l’auteur, la religion aiderait son peuple à surmonter les tourments qui les accablent, tant « la vie est dure pour les gens bons » ; et si le christianisme, introduit au XVIe siècle, n’est pas encouragé quoiqu’il soit présent dans les campagnes, le bouddhisme quant à lui, l’est de plus en plus. Le christianisme n’est, à ce titre, jamais (ou presque) mentionné dans la littérature chinoise.

Un autre aspect est à souligner dans son œuvre : la présence de la nature.
Cette omniprésence s’explique par l’histoire de l’auteur ; étant né à la campagne et afin d’échapper à la nature, il se réfugie en ville. Cette fuite le plonge dans un sentiment d’impossible retour vers elle et c’est pourquoi il écrit tant à son sujet, la mentionne si fréquemment – c’est un moyen de lui témoigner son amour, sa fascination et sa vénération. Ce n’est pas que qu’elle l’inspire, c’est plutôt qu’il la regrette depuis qu’il évolue dans « une ville de béton ».

Sachez en tout cas, lecteurs, que son épouse cuisine très bien  et que « ceux qui s’intéressent à ma littérature, je les invite à venir chez nous et elle leur fera à manger – ceux qui n’auront pas lu mes livres auront droit à une tasse de thé ou une tasse de café ».
Sous une pluie d’applaudissement, il se leva et salua.
Une bien belle rencontre finissait. 


Lucile Richard.


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