lundi 22 octobre 2012

Hommage à Carlos Fuentes d’Anne Alvaro


C’est sous ce ciel gris en ce dimanche après midi que s’est déroulée la lecture d’Anne Alvaro en hommage à Carlos Fuentes, précédée d’un court documentaire sur l’auteur lors de son passage à Aix-en-Provence en 2011.
Il s’agissait du premier chapitre de Terra Nostra une de ses œuvres majeures. Alors qu’une nouvelle journée à Paris commence pour Paulo, il va rapidement être entrainé dans un tourbillon d’évènements hors du commun. Accouchement d’une femme de 90 ans, omniprésence d’une fumée inquiétante, agitation incongrue dans les rues de la ville, femme aux lèvres tatouées…
Cette lecture à été prise à l’initiative d’Annie Terrier qui, très affectée par la mort de Carlos Fuentes, a voulu lui rendre un dernier hommage ainsi que ses lecteurs. Venue spécialement de Nancy,  nous avons eu le plaisir de rencontrer Anne Alvaro qui a partagé avec nous ses impressions. Très émue, elle a exprimé tout son respect envers Carlos Fuentes au travers d’une lecture pleine de sensibilité et d’honnêteté sachant donner l’impression qu’elle découvrait le texte pour la première fois. Anne Alvaro nous a confié qu’elle souhaitait que sa lecture rime avec « innocence, ébahissement et partage »… pari réussi !
Cet hommage à Carlos Fuentes est une admirable façon de clore cette fête du livre : durant un temps ce grand auteur était de nouveau parmi nous.

Claire Garcia, Justine Giot, Chloé Garillot, Noémie Flores

Masterclass avec Yan Lianke


Le 21 octobre à 10h, une rencontre avec Yan Lianke a eu lieu. Le public a ainsi pu poser des questions à l'auteur. Voici le résumé de cet échange :

Quels sont ses influences et les auteurs qui l'ont inspiré dans son œuvre ?

À 20 ans, étant employé comme bibliothécaire dans l'armée, il a pu lire des auteurs français tel que Balzac, Hugo, Flaubert ou Stendhal qui lui ont fait prendre goût à la littérature du XIXème siècle.

À 32 ans, alité à cause d'une grave maladie, il se met à lire des auteurs du Xxème siècle comme Kafka, Camus, Beckett ou Robbe-Grillet. Il estime que ces écrivains ont «au fond d'eux même un sens de la maladie », une vision différente de la vie qui leur permet d'avoir une autre perspective du monde qui les entoure.

À 40 ans toutefois, il pense qu'il ne pourra jamais les égaler, et ne peut plus dire qui il préfère. Il se remet en question et reporte son intérêt sur le peuple chinois : « Lire les hommes et lire leur cœur, voilà peut être la meilleure lecture pour un écrivain. » Il commence aussi à lire l'oeuvre d'Antoine Volodine, pour laquelle il se fascine.

Quel travail de documentation effectue-t-il ? Rencontre-t-il des problèmes lors de ses recherches ?

Yan Lianke ne fait jamais de recherche documentaire. Il a toujours quatre ou cinq histoires qu'il a besoin de raconter, et hésite constamment sur laquelle il va commencer. Son problème n'est pas de savoir quoi écrire mais de savoir par quelle histoire commencer et comment la raconter.
Il peut passer six mois sans écrire, pas parce qu'il n'a pas d'inspiration mais parce qu'il ne sait pas comment l'exprimer.

Quel rôle a joué l'armée dans sa vie et dans son œuvre ?

Après avoir été refusé à la prestigieuse université de Pékin, Yan Lianke a intégré l'armée dans le but de quitter la campagne et de manger à sa faim. Ces vingt-six années passées dans l'armée ont profondément changé sa vie.
Pour pouvoir être publié dans l'armée, il est obligé d'écrire des livres opposés à ses idées. Il trouve la liberté d'écriture au travers le sujet de la vie paysanne en Chine. C'est suite à la publication de Bons baisers de Lénine qu'il se fait renvoyer de l'armée.

Pourquoi ces vingt-six années ont-elles été importantes pour lui ?

Ces années ont été pour lui un échappatoire à la famine et à la pauvreté de la campagne chinoise. Son statut d'officier lui a à permis d'avoir une meilleure situation et de rencontrer sa femme.
Pendant ces années il a été témoin d’événements qui l'ont profondément marqués et qui sont aujourd'hui autant d'inspiration pour ses œuvres.

Que pense son entourage de son œuvre ?

Ayant des parents illétrés, ceux-ci n'ont jamais pu le lire. Ces frères et sœurs ne le lisent pas car ils préféreraient qu'il soit journaliste au « Quotidien du Peuple » (plus grand journal de Chine) ou mandarin (cadre dans la société chinoise).
Actuellement, chaque livre qu'il écrit provoque l'embarras de son entourage : « Personne ne trouve ça bien dans mon pays. »

À cause de la polémique que crée son œuvre, n'a-t-il jamais eu envie de quitter la Chine ?

« Non, jamais. »
Il trouve qu'il y a une trop grande différence de culture en l'Orient et l'Occident. Il pense que s'il s'installait en Occident il pourrait perdre son style d'écriture.
De plus aujourd'hui il a une vie tout à fait convenable dans son pays : les écrivains chinois jouissant de beaucoup plus de liberté en Chine qu'il y a trente ans.

dimanche 21 octobre 2012

Conclusion de la fête du livre

C'est avec une météo capricieuse que s'est terminée la fête du livre en ce dimanche 21 octobre.

Après 4 jours de débats passionnants autour des bruits du monde, chaque auteur a su se faire entendre à travers des échanges avec le public, le tout agrémenté de séances de cinéma et d'expositions sur ce thème, notamment avec la présence de Raymond Depardon et de Claudine Nougaret.

Un public et des auteurs visiblement heureux de la manifestation, des auteurs satisfaits d'avoir pu parler librement et d'avoir partagé avec une audience attentive, voilà le résultat de ces 4 jours de fête. Antoine Volodine nous a ainsi confié le plaisir qu'ont eu les auteurs à participer à ces rencontres et de partager avec leurs lecteurs.

Chaque auteur a su traiter du thème de façon personnelle, nous rappelant l'importance primordiale de l'imagination pour l'écrivain, qui n'est pas qu'un commentateur politique.

Le public, lui, a été très touché de découvrir les témoignages des écrivains.

Cette 29ème édition se termine par un hommage à Carlos Fuentes sous la forme d'une lecture de Terra Nostra par Anne Alvaro.

Un grand merci à l'équipe des Écritures Croisées, ainsi qu'à l'ensemble des participants pour cette manifestation qui s'est déroulée sans accros.

Pauline Jérôme, Laurie Lajara, Zoë Leclerc, Paul Le Masson et Aurélie Maïto.

Rencontre entre Yan Lianke et Antoine Volodine

A 15 heures 30, nous avons eu le privilège de pouvoir assister à la rencontre entre Antoine Volodine et Yan Lianke. 
Dans un premier temps, les auteurs ont comparé leurs ouvrages. Ils nous ont exposé les points communs et les différences entre leurs œuvres respectives. Yan Lianke a pu lire la traduction chinoise de l'œuvre de Volodine. Ce dernier a beaucoup écrit en Chine (comme Le nom du singe). Lianke observe le fait que les deux écrivains ont adopté le point de vue d 'observateur, néanmoins, le côté subjectif et sentimental de celui-ci a été souligné par Volodine. Lianke nous a fait part de son admiration pour Volodine qui parvient à situer ses histoires n'importe où tandis qu'il a, lui, besoin de revenir dans son pays natal. Volodine vante à son tour l'imagination de Yan Lianke. Ils ont alors pu constater que leurs styles d'écriture sont complètement différents. Il a pu nous annoncer qu'il prévoit un autre livre pour 2013.
 
Gérard Meudal a ensuite orienté le débat sur la question du statut de l'écrivain. Lianke considère que les occidentaux peuvent exprimer une réalité complexe par une écriture simple et les orientaux par une écriture complexe. Il explicite alors plus en détail le cas spécifique de la Chine: l'écrivain professionnel est en effet payé par l'État pour écrire, alors qu'en France, l'écrivain est payé pour ce qu'il écrit. Certains de ses livres ont subi une censure. Ce qui l'amène à dire que l'écrivain est protégé par le gouvernement chinois, contrairement à l'éditeur qui, quant à lui, peut être menacé d'une amende. Lianke insiste sur le progrès de la situation de l'écrivain en Chine depuis trente ans.
La conférence s'est terminée par un échange avec le public, ainsi que la lecture d'un extrait de l'une des oeuvres de chaque auteur : Les anges mineurs, de Volodine, et Les quatre livres, pour Lianke.
Léa DILAS, Manon DJEMILI, Florian ESSONO, Juliette FAYOLLET

Les cinq écrivains de la table ronde

Le 20 octobre 2012 à 17h30 s'est tenu dans l'amphithéâtre de la Verrière, une conférence réunissant les cinq invités principaux de cette fête du livre que sont les écrivains Yan Lianke, Peter Esterhazy, Antoine Volodine, Juan Goytisolo et David Grossman. Une conférence animé par Pierre Haski, journaliste pour Libération.

Yan Lianke a ouvert le débat en abordant le thème de la tragédie du sang vécue en Chine. Il fait bien remarquer qu'il n'est pas un écrivain "combattant" mais plutôt un "chiffonnier de la littérature". Il se considère comme un auteur abordant des sujets rejetés par les autres écrivains. Il est donc souvent critiqué dans son pays natal tout comme Mo Yan (prix Nobel de littérature 2012) qu'il considère comme un grand écrivain. Il se félicite que ce prix soit décerné à un chinois car il permet la reconnaissance de la littérature de son pays.

Le deuxième intervenant a été Péter EsterházyPour lui, tout devient politique sous une dictature, plus rien n'existe en dehors. "La langue de la dictature, c'est le silence". La littérature sous une dictature n'est donc plus importante en soi, elle n'est qu'un instrument du pouvoir en place. Esterházy évoque son pays, la Hongrie, qui a subi une dictature pendant quarante ans et qui porte encore les stigmates du silence. Dans cette continuité il affirme que "le roman nait du silence".

Grossman enchaîne en appuyant le fait qu'il est nécessaire pour un écrivain de nuancer les bruits du monde. Pour lui il faut absolument s'extraire de la masse médiatique qui représente "un lavage de cerveau" pour recueillir les points de vue les plus divers possibles, que ce soit de la part d'étranger, d'allié, d'ennemi...C'est la tâche de la littérature de récupérer l'individualité arrachée par les médias. C'est en tout cas la manière qu'il utilise pour rédiger ses ouvrages, notamment sur le conflit israélo-palestinien (ex : Le vent jaune). Grossman pense qu'être écrivain, c'est "chercher à être envahi par les autres pour les comprendre".

Juan Goytisolo rejoint le point de vue de Grossman sur la nécessité de nuancer ses propos et ses actes. Il prend comme exemple ses implications dans les conflits espagnols, cubains ou tchétchènes. Après son troisième voyage à Cuba en 1965 il s'est rendu compte qu'il devait être plus prudent dans ses engagements politiques. Il réfute le patriotisme et pense qu'il est nécessaire de se remettre constamment en cause. Goytisolo nous confie qu'il est qualifié de "gigolo international" par les censeurs.

Antoine Volodine capte les bruits du monde, les filtre, à travers internet puis par des voyages notamment en Chine. Pour lui les sources des bruits proviennent de la littérature. Car grâce à elle on peut apprendre, comprendre et s'approprier les différentes régions de la planète. Volodine estime que nous sommes tous des citoyens du monde et réfute le nationalisme (cette remarque a d'ailleurs suscité la réaction de Péter Esterházy qui estime qu'à partir du moment où l'on parle une langue nationale, on représente son pays).

Antoine Volodine évoque ses rêves en fin de débat ce qui soulève de la part de Pierre Haski une question de conclusion à savoir : quels sont les rêves et les objectifs des cinq auteurs? Pour Antoine Volodine il faut créer une société égalitaire où tous les Hommes auraient les mêmes chances dès la naissance. David Grossman souhaite simplement écrire de bons livres. Yan Lianke aimerait pouvoir se situer dans la littérature chinoise au milieu de la dizaine de milliers d'auteurs existants. Juan Goytisolo souhaite la diminution des écarts entre pays riches et pays pauvres, bien qu'il sache que c'est une utopie. Péter Esterházy aimerait réussir à écrire "une histoire simple de cent pages" ce qu'il n'a jamais fait jusqu'à maintenant.


Pierre Petitdemange, Anaëlle Van Rhijn, Amandine Torrigiani, Gwenaël Portes

samedi 20 octobre 2012

Rencontre avec Yan Lianke



Cette après-midi du 20 octobre 2012, à 15h, une rencontre avec Yan Lianke a eu lieu, dans l'amphithéâtre de la Verrière ; du haut de ses 54 ans, l’auteur avoue avoir trouvé son nouveau paradis : notre belle ville d’Aix-en-Provence, avec son beau ciel, son beau soleil, son beau cadre.
Touché par la population aixoise (parce qu’un bus leur a cédé le passage à sa femme et lui sur un passage piéton, alors que cet évènement n’arriverait pas en Chine, nous prévient-il), Yan Lianke reconnait aussi avoir été touché par les lecteurs constituant son public français ; il se trouve qu’ici, les lecteurs aiment ses livres, contrairement à son pays natal qui ne reconnait pas son travail d’une part, et le voit d’un fort mauvais œil d’autre part (il confesse d’ailleurs que les regards que porte la Chine sur lui le mettent mal à l’aise). Il est tellement mal perçu que certains de ses livres n’ont jamais été publiés ; pire que ça, il s’est parfois vu interdit de déplacement pour ses écrits jugés contestataires et subversifs.
Son regard féroce et ironique sur ce qu’est la Chine pousse les autorités à censurer quelques uns de ses livres ; seuls ses romans lyriques (qui sont des textes méditatifs), écrits au début de sa carrière et très prisés dans son pays, sont publiés sans encombres.

Par la suite, Yan Lianke se met à rédiger des romans longs tel Bons Baisers de Lénine ou Rêve du village des Ding.
Son dernier roman Les quatre livres est commencé en 2000. En 2001, lorsqu’il l’envoie à vingt de ses amis éditeurs son manuscrit, Yan Lianke se le voit retourner (quoiqu’il s’en doutait) avec pour réponse : « Monsieur Yan, nous espérons que vous nous pardonnerez – vous savez pourquoi on le refuse ».
Plusieurs autres éditeurs auront la même réaction.
Il trouvera tout de même le moyen de faire publier ce livre à Taïwan, Hong Kong ainsi qu’en France. La France, qui représente pour lui le voyage porteur de la plus grande joie puisqu’ici le lectorat s’intéresse d’avantage à la façon dont a été écrit le livre qu’à son contenu ; c’est un véritable bonheur pour cet auteur qui confie que ce qui importe dans ce dernier livre, c’est bien la manière dont a été rédigé l’ouvrage, plus que ce qu’il transmet.

La situation éditoriale chinoise est complexe ; beaucoup de sujets sont à éviter si l’on souhaite être publié. La censure plane sur les auteurs chinois et si la Terreur Blanche de Russie a permis de faire émerger de grands auteurs russes, cela ne s’est pas passé ainsi dans le cas de la Chine, à cause  notamment de l’autocensure, phénomène inconscient et instinctif dans plusieurs cas.
A titre d’exemple, les « trois années de calamités » ont conduits 30 millions de chinois à mourir de faim, soit approximativement la population d’un pays entier, comme Singapour (cité-Etat de l’Asie de l’est).
Cette situation provoquant des sentiments d’horreur pour les uns s’est trouvée être la réalité de la Chine, de sorte qu’aujourd’hui encore, le pays porte ce tourment en son sein. Toute personne de plus de 60 ans conserve en elle une part de cette tristesse et un sentiment d’insécurité qui en découle, alors que cet évènement est désormais passé sous silence et guère mentionné durant l’éducation scolaire des jeunesses d’aujourd’hui. C’est une question sur laquelle on ne peut écrire si l’on souhaite être publié, comme le précise Monsieur Yan, et pourtant cette question est inévitable lorsqu’on l’a vécue. Aborder ce problème lui permet d’être « à la hauteur de sa conscience ». L’auteur se doit d’être fidèle à la vie, à la réalité,  à la vérité – il ne peut mentir, nous dit Yan Lianke.
Afin de ne pas avoir de regret sur son lit de mort, Yan Lianke est décidé à écrire ce qu’il veut,  à ne pas s’autocensurer pour ne pas avoir la sensation d’avoir vécu pour rien : « j’ai décidé d’écrire ce que je veux, de la façon que je veux ».

Les quatre livres n’a pas été directement publié dans le pays mais introduit en Chine occidentale depuis Taïwan ; cet ouvrage résulte d’une volonté de transmettre un souvenir vieux de plus de 20 ans, celui de son camarade de chambre à l’armée, tankiste.
Celui-ci lui rapporte qu’un jour, tandis qu’il s’entrainait dans le désert, il réalisât qu’ils roulaient sur des os. Après vérification, il s’avérât qu’il s’agissait d’ossements humains.  Après avoir effectué des recherches sur le sujet, l’auteur découvrit qu’à cet endroit du désert avait été abandonné les corps de 2 à 3 000 professeurs d’universités. C’était des gens étiquetés de droite qui furent envoyés dans des camps de rééducation.

L’intrigue prend donc place dans un camp de rééducation. Il convient de noter qu’aucun des personnages n’a de nom ; ils sont désignés par leur profession, soulignant ainsi le fait qu’ils ne sont pas des êtres humains mais seulement des êtres vivants contraints de vivre. Ceci désignerait, selon Yan Lianke, la condition des intellectuels chinois.
Parmi les personnages présents dans le roman, l’écrivain est le plus lâche, le plus délateur et opportuniste de tous ; l’auteur voit dans cette métaphore la symbolique des intellectuels (quel que soit leur horizon) incapables de faire preuve d’une capacité à se révolter. Il dénonce la lâcheté des auteurs, cette même lâcheté qui leur permet de survivre.  

La volonté d’écrire sur ce sujet apparait il y a cinq ou six ans, alors qu’il déambule dans les rues de Pékin ; il se prend à s’imaginer avec un révolver à la main, arrêtant les passants les uns après les autres pour leur demander de lui tirer dessus.
L’Enfant, avec un E majuscule, personnage phare du livre, fera la même chose.
Cet Enfant venu du ciel libèrera les prisonniers du camp et sera crucifié, tel Jésus. La religion est très présente dans cette œuvre comme dans les autres ; il se trouve que tous les écrits de Yan Lianke sont traversés par des références bibliques ou au moins sacré. Il va jusqu’à citer des passages de la Genèse ainsi qu’à retranscrire le mythe de Sisyphe à la fin de du livre ; il est alors question de « mytho-réalité », de l’adaptation d’un supplice mythologique à la réalité humaine, c’est une réadaptation.
Cette réadaptation met en exergue le rapport de l’auteur à la religion, sujet primordial en Orient. Il s’avère en effet que les chinois, après avoir longtemps cru au communisme, se sont vu dépourvus d’une quelconque religion à laquelle se raccrocher depuis sa chute.
Selon l’auteur, la religion aiderait son peuple à surmonter les tourments qui les accablent, tant « la vie est dure pour les gens bons » ; et si le christianisme, introduit au XVIe siècle, n’est pas encouragé quoiqu’il soit présent dans les campagnes, le bouddhisme quant à lui, l’est de plus en plus. Le christianisme n’est, à ce titre, jamais (ou presque) mentionné dans la littérature chinoise.

Un autre aspect est à souligner dans son œuvre : la présence de la nature.
Cette omniprésence s’explique par l’histoire de l’auteur ; étant né à la campagne et afin d’échapper à la nature, il se réfugie en ville. Cette fuite le plonge dans un sentiment d’impossible retour vers elle et c’est pourquoi il écrit tant à son sujet, la mentionne si fréquemment – c’est un moyen de lui témoigner son amour, sa fascination et sa vénération. Ce n’est pas que qu’elle l’inspire, c’est plutôt qu’il la regrette depuis qu’il évolue dans « une ville de béton ».

Sachez en tout cas, lecteurs, que son épouse cuisine très bien  et que « ceux qui s’intéressent à ma littérature, je les invite à venir chez nous et elle leur fera à manger – ceux qui n’auront pas lu mes livres auront droit à une tasse de thé ou une tasse de café ».
Sous une pluie d’applaudissement, il se leva et salua.
Une bien belle rencontre finissait. 


Lucile Richard.


Lectures d'oeuvres de Yan Lianke et Antoine Volodine

     La première lecture de l'après-midi a eu lieu à l'amphithéâtre de la Verrière. Pit Goedert a assuré la lecture d'un court extrait du dernier roman Les Quatres Livres de Yan Lianke.

     Yan Lianke est un écrivain chinois né en 1958 dans la province du Henan. Son engagement dans l'armée lui a permis à la fois de payer ses études et de faire ses débuts en tant qu'écrivain. Il est très engagé politiquement au sein de son pays, et subit constamment la censure. Les Quatres Livres aborde la période du Grand Bond en avant (renforcement de la productivité à son maximum afin de "rattraper l'Angleterre et surpasser les Etats-Unis"), pendant les années 90, en nous racontant les horreurs quotidiennes vécues par la population.

     Ce roman est un témoignage de M.Yan sur cette époque sinistre où plus de 30 millions de chinois sont morts de faim. Dans l'extrait qui nous a été lu, le personnage cultive son champ de blé grâce à son propre sang arrivant ainsi à obtenir une moisson importante. Mais soudain une tempête ravage sa récolte. Il se retrouve alors démuni, affaibli "comme un enfant sanglotant, abandonné au milieu de la nature". Pit Goedert a su, par sa lecture, faire ressentir toute la puissance et l'émotion du texte. Récit qui reste ancré en nous, nous laissant ce goût presque vécu, presque tragique, qui nous hante tout au long de la rencontre.

     On retrouve dans cet extrait, tout l'aspect sensible, humble, respectueux, reconnaissant, et courageux de l'auteur. Lianke a transcendé l'assistance par la force de ses mots, la laissant subjuguée. C'est avec une grande modestie qu'il s'incline devant le public qui ne cesse de l'acclamer.


     Antoine Volodine est un écrivain français mystérieux aux multiples noms de plumes et à la personnalité complexe. Auteur de nombreux ouvrages, il a remporté le Prix du Livre Inter pour Des anges mineurs.

     Il prête aujourd'hui sa voix à Écrivains, son dernier livre, donnant ainsi un aspect à la fois plus doux et violent à son œuvre.

     Sa lecture, sa voix nous emporte dans un univers oppressant, pesant, de souffrance mentale. Les mots sont martelés, répétés, "frappés". Alternés par des moments d'accalmie.
L'auteur nous enferme dans les ténèbres, les souvenirs de prisonniers réduits à l'état animal, recherchant encore et encore l'autre, l'image, les mots, frappant "à l'intérieur de la cellule".
Prisonniers portant le nom de ses pseudonymes, dont il met en scène la séquestration dans un "espace noir".

     A ces derniers mots, sa voix suspendue dans l'amphithéâtre, laisse son auditoire figé et silencieux. Enfin, le public ému, l'acclame chaleureusement.

Rencontre avec Antoine Volodine

      Anne Roche, professeur et auteur a interrogé Antoine Volodine sur son oeuvre ce samedi 20 octobre à 16h30 dans l'amphithéâtre de la Verrière.

      Tout d'abord elle a insisté sur le fait qu'il donne très peu d'éléments sur sa biographie et laisse planer le doute sur son identité et sa vie. Pour lui, l'auteur n'existe que par ses livres. En revanche, il se définit comme un écrivain du XXe siècle, marqué par son contexte, le "siècle de la terreur".

      La notion de mémoire collective a souvent été évoquée. Il est profondément touché par les tragédies de ce siècle, notament celles qui se sont déroulées durant son enfance (souvenirs de la Résistance, Guerre Froide, guerres d'Algérie, d'Indochine, ...). Cela le rend certainement plus sensible que les autres et lui permet de se replonger dans l'Histoire et d'écrire sur la mémoire commune.

"Chacun d'entre nous a une expérience [...] toutes les étrangetés des livres sont familières, c'est un rappel de la mémoire collective."

      Par ailleurs, il a donné des précisions sur le mouvement du post-exotisme. Il utilise différents pseudonymes qu'il considère comme des écrivains à part entière. Chacun a une personalité, un style, une cible et un univers qui lui est propre (Ellie Kronauer, Lutz Bassmann, Manuela Draeger).

"Tous ces écrivains ne peuvent pas être confondus avec Volodine, lui n'est que leur porte-parole."

      La conférence s'est ensuite orientée vers le livre Ecrivains. Pour le texte Demain aurait été un beau dimanche, Volodine a effectué pour la première fois des recherches sur un évènement historique précis. Il s'agit d'évoquer la mémoire de fusillés anonymes au sud de Moscou durant le régime stalinien. Cette recherche a été éprouvante pour lui, ce fut un moment d'écriture difficile, mais un geste de compassion envers ces vies massacrées.
      Grâce à un autre texte, on apprend que Volodine a "Comancer" à écrire à l'âge de cinq ans et demi sur son protège-cahier. Il crée un monde, des histoires dans lesquels il va vivre.

      On remarque que le Livre des morts tibétain est une oeuvre de référence pour les auteurs post-exotiques. Il a une grande passion pour cette religion, non par croyance mais par intérêt littéraire.

      Pour finir, il est totalement conscient de la présence de la musique dans ses livres et attache une grande importance à la musicalité dans son écriture bien que ça ne soit pas toujours évident.

      Cette rencontre a confirmé le talent d'écrivain d'Antoine Volodine et le mystère qui l'entoure.

Masterclass avec David Grossman


     Ce samedi 20 octobre 2012 à 10h, a eu lieu, dans la Cité du Livre d'Aix-en-Provence (dans l'amphithéâtre de la Verrière), une masterclass, en compagnie de David Grossman (auteur israélien engagé) et Gérard Meudal (collaborateur du Monde des Livres). Cette manifestation, ouverte au public, regroupait des étudiants des Métiers du Livre, de l'IEP et de l'Université de Provence.

       David Grossman est avant tout un écrivain engagé tant sur un plan politique qu'émotionnel. En effet, il considère l'écriture comme le moyen de se libérer d'une réalité oppressante. Cependant, il reste persuadé que le plus important pour un individu, est la compréhension de soi et d'autrui. Pour cela, il n'hésite pas à creuser dans l'intimité des gens, où la guerre s'est immiscée. De plus, il voit dans l'écriture le moyen d'exprimer l'indicible (notamment face au conflit israélo-palestinien) bien que les lecteurs puissent être choqués par cette réalité qu'ils préfèreraient ignorer.

        C'est à travers ses oeuvres que l'auteur nous expose ses opinions.
En effet, Le Sourire de l'Agneau (publié en 1983) est le premier livre qui aborde le sujet de l'occupation des territoires palestiniens par les israéliens. S'il s'inspire de ce conflit, il est également influencé par de nombreux écrivains, tels que Kafka, Borges ou encore Bruno Schulz (qu'il qualifie d'auteurs incontournables).

     Auteur engagé, David Grossman se situe dans le camp israélien mais est opposé à l'occupation de la Palestine. Il espère une cohabitation des peuples, fondée sur un respect mutuel.
Au cours de son intervention, il a souligné "qu'aucun israélien sensé ne fera de grands projets pour le futur". Cette idée d'un avenir incertain accentue son engagement sur ce thème qui le stimule.

      Cette première masterclass où de nombreux étudiants ont participé, a été très vivante et intéressante. Elle s'est clôturée de manière originale, par la lecture d'un passage en hébreu de son dernier livre (Tombé hors du temps), paru quelques semaines auparavant. 
   
Sa voix a donc trouvé un écho et résonne parfaitement avec la thématique "Bruits du monde".

Adeline MARIN, Louisa MARMOL et Mélanie RAMOS



MACAU
Antoine VOLODINE,
Photo d' Olivier AUBERT 2008
Chez Le Seuil, Collection Fiction et Ciel 2009

 Près de quinze ans après Le port intérieur, Antoine VOLODINE retrouve ses paysages familiers : les ruelles obscures de Macau, l'humidité sordide, la nuit où monologuent des personnages ambigus et sans avenir. Il ajoute ici un ouvrage à la vaste construction romanesque qu'il a entreprise en 1985, et qui compte actuellement plus de trente titres.

Olivier Aubert vit avec des appareils photographiques depuis une vingtaine d'années. Il les utilise pour réaliser explorations, reportages, enquêtes, séries et portraits. Il a travaillé à ce jour dans une trentaine de pays dont un grand nombre sont situés en Afrique et en Asie.


 
 Lecture intégrale de Macau

Le vendredi 19 octobre à 20h, le théâtre des Ateliers nous a présenté pour sa dixième veille théâtrale une lecture intégrale gratuite par Alain SIMON de Macau d'Antoine VOLODINE. L'auteur, invité dans le cadre de la Fête du Livre 2012 autour du thème "Bruits du monde", était présent. Le public attentif à cette mise en scène légère a pu observer sur un premier plan une lecture posée. Sur un second plan, faute d'images, nous avons pu entendre des sons nous ayant fait voyager ; le bruit d'une allumette qu'on craque, celui d'un pinceau sur une feuille ou encore la ville asiatique, avec ses voix et ses klaxons. Le tout dans une ambiance tamisée, propice au vagabondage de la pensée dans un univers lointain.





Alain SIMON

Il a su interpréter les différentes facettes des personnages grâce à des variations de tonalités et de rythmes. Il a su alterner comique et sérieux pour nous envoûter.
L'auteur a exprimé sa satisfaction. Il a trouvé que c'était une très belle lecture qui lui a permis de redécouvrir son texte.

Le théâtre, afin de faciliter le suivi, a mis à disposition une feuille de présentation générale. Un buffet nous a été offert durant l'entracte.Une trentaine de personnes était alors présente.

Faites nous part de vos commentaires :)  


Renaud HEDDE
Marie & Célia BARBIER
 


Théâtre des Ateliers d’Aix-en-Provence
29, place Miollis - 13100 – Aix-en-Provence
Téléphone : 04 42 38 10 45 – courriel:  theatredesateliers@yahoo.fr



Sources :
- photo de l'acteur : http://www.theatre-des-ateliers-aix.com/
- résumé de la 4e de couverture








        

Hommage à Carlos Fuentes, par Juan Goytisolo et Aline Schulman

Carlos Fuentes, grand auteur mexicain né en 1928 et mort cette année au mois de mai, a laissé derrière lui une oeuvre littéraire mémorable. Un hommage lui a été rendu le 19 octobre dans l'amphithéâtre de la Verrière par son ami de longue date, l'auteur espagnol Juan Goytisolo. Ce fut d'autant plus émouvant que le dernier endroit où les deux compères s'étaient retrouvés était ici même il y tout juste un an.
La séance s'est ouverte sur un court diaporama d'images de la Fête du Livre 2011 où Carlos Fuentes était l'invité d'honneur, rythmé par la voix d'Anne Alvaro lisant un extrait de Terra Nostra. Ensuite, Juan Goytisolo a pris la parole pour lire le texte qu'il a écrit à la mort de Carlos Fuentes pendant quelques minutes dans sa langue natale, l'espagnol, insistant sur la difficulté de l'exercice.
En effet, Carlos Fuentes a laissé une grande "angoisse du vide". C'était un homme très énergique, "una fuerza de la naturaleza", "ambassadeur du Mexique à Paris", un "infatigable voyageur"... Il voyait l'écriture comme une aventure et il était facile pour lui de rendre ses lecteurs eux-même aventuriers. Il ne pouvait s'arrêter d'écrire et il a d'ailleurs vécu jusqu'à la fin "dans la plénitude de ses dons".
Un hommage traduit fidèlement et avec sensibilité par Aline Schulman, traductrice des deux auteurs.


Léa CLERC
Mathilde BOURG-DREVET
Laurie CASULA
Sandy CERVETTI

vendredi 19 octobre 2012

Les Lectures

Ce vendredi 19 octobre à 15 h, a eu lieu dans l'Amphithéâtre de la Verrière des rencontres avec les différents auteurs invités à l'occasion de la Fête du Livre 2012. David Grossman, Juan Goytisolo, et Péter Esterházy ont eu la possibilité d'offrir au public leur façon de voir leurs oeuvres et leurs manières d'écrire. Pendant ces différents entretiens, l'auditoire a eu la chance d'assister à des lectures de certaines oeuvres de ces 3 auteurs.
L'Amphithéâtre était alors quasiment plein.
 La première rencontre a été avec Péter Esterházy et la lecture a été extraite du Discours de Paix qui s'est tenu en 2004, à l'occasion de la remise de prix des Libraires en Allemagne. Le "lecteur" Pit Goedert a su faire passer au public les sentiments exprimés à la perfection. Sa lecture était très élaborée et a réussi à captiver le public qui était souriant et attentif. Le deuxième extrait a été tiré de Chez moi et a été faite par Péter Esterházy lui-même dans sa langue natale en guise de conclusion.
Ensuite, ce fut le tour de Juan Goytisolo. L'extrait reprit était celui de Quand le rideau tombe et a été lu par Aline Schulman, la traductrice de l'auteur, qui nous a offert une grande compréhension du texte.
Pour finir,  David Grossman. Nous avons eu droit à 2 lectures extraites du même ouvrage: Tombé hors du temps. La première lecture, un poème du Duc, a été réalisé par David Grossman et ce en hébreu, puis par Pit Goedert, en français. La seconde a été faite par Pit Goedert, l'extrait était une tirade du Duc. Avec ces deux lectures l'auteur et le lecteur ont su rendre justice au texte.


Meghan BOUCHOUAREB
Alexandre BOULAY

Rencontre avec Péter Esterházy

Dès 15h ce vendredi 19 octobre, dans l'amphithéâtre de la Verrière, le public de la Fête du livre a pu rencontrer Péter Esterházy, guidé par des questions de Gérard Meudal.
L'écrivain hongrois est né en 1950 à Budapest, dans une grande famille aristocratique déchue par le régime communiste. C'est en cela que le moment de sa naissance lui paraît idéal : les Esterházy venaient de perdre leurs privilèges, mais ce bouleversement était encore assez récent pour que les aînés du jeune Péter l'abreuvent de récits de leur passé. Né un peu plus tard, il n'aurait jamais eu connaissance de ce monde; né un peu plus tôt, il aurait vécu "l'existence ennuyeuse d'un comte socialement sensible". Ces circonstances le placent dans une position de mémoire adaptée à l'écrivain.
Les Esterházy constituent l'une des plus importantes lignées hongroises, et même européennes, dont l'histoire recoupe celle de leur pays et de leur continent. La conscience de la complexité de cette structure nourrit l'oeuvre de l'auteur, car elle lui a permis de construire une relation concrète avec le temps et l'histoire.
Pour autant, Péter Esterházy n'est pas un écrivain de la gravité. La frivolité est pour lui une notion d'importance, qu'il s'attache à conserver, bien que cela lui semble de plus en plus difficile. Son Discours de paix (dont le comédien Pit Goedert a lu un extrait cet après-midi), prononcé à Francfort lors de sa consécration par le prestigieux Prix des libraires allemands, l'illustre parfaitement : face à "tout ce que la culture allemande a de sérieux", il a voulu louer la légèreté. 
Sûrement en réaction à une tradition littéraire hongroise datant du XIXe siècle, qui veut que "les personnages n'[aient] pas de corps", qu'ils ne soient que des têtes pleines d'idées telles le nationalisme, selon la description de Péter Esterházy. Mais le sérieux n'est pas toujours que bêtise et rigidité; l'auteur est convaincu qu'il peut se doter d'une dimension ludique salvatrice.
En effet, le sérieux s'incarne dans le jeu, auquel s'apparentent "les trois choses que [l'écrivain a] faites dans [sa] vie : jouer au football, étudier les mathématiques, et écrire". Chacune de ces disciplines comporte des règles qui ne sont valables et pertinentes que dans le champ qui la concerne. Et lorsqu'elles s'appliquent, plus rien n'existe que le jeu, quelle que soit la forme qu'il prend. Du moins lorsque l'on joue sérieusement. Sur le même schéma, un bon romancier se doit de faire croire en ce qu'il écrit; un bon lecteur s'efforcera de se laisser prendre au jeu. Ainsi, "nul lecteur sérieux de Flaubert ne serait surpris de croiser Mme Bovary dans la rue". 
 Lorsque interrogé sur ses méthodes, Péter Esterházy affirme écrire comme au XIXe siècle ("tel Flaubert, mais pas aussi bien", selon sa formule): à la main, dans un cahier. Les double-pages de ce dernier lui permettent d'inscrire son texte à droite et son auto-critique (le plus souvent sévère) en miroir. Il écrit donc deux fois au minimum, ce qui lui paraît rarement suffisant; ses horaires s'apparentent à "ceux d'un employé de bureau".
Il dit de son écriture qu'elle est très centrée sur le mot, et affirme que la place de ce dernier, relativement aux autres, est très importante. L'écriture manuscrite lui permet de la préserver; il estime que les pratiques qui vont à l'encontre, comme le copier-coller, sont dangereuses: la signification du déplacement n'est plus tangible.
Cette réflexion est peut-être un héritage de l'écriture sous la dictature, qui force à "faire parler entre les lignes", et où la place de chacune est donc plus capitale encore. En effet, la langue de la dictature est le silence, mais la littérature naît par-dessus, car elle est rusée: elle invente alors la langue métaphorique, joue sur les connotations, tait certaines choses pour mieux faire sentir leur absence, comme la liberté perdue. C'est un contexte particulier, dans lequel les gens lisent des livres car il s'agit du seul média qui peut contourner la censure. Ces lecteurs, qui lisaient pour la liberté, disparaissent lorsque la démocratie est rétablie, et se tournent vers les journaux.
Car le roman et la presse n'évoluent pas sur le même plan : comme l'a exprimé Esterházy, la précision du premier ne coïncide pas avec celle de la réalité. L'écrivain se doit d'y injecter la frivolité sérieuse du jeu dont il a été question, s'il veut que l'intérêt de son oeuvre perdure : la littérature qui n'est que politique est en effet condamnée à mourir en même temps que ce qu'elle dénonce. 
C'est ce que Péter Esterházy a su faire tout au long de l'entretien, grâce à son humour.

Claire Berry
Shirine Benarab

Rencontre avec David Grossman

A 17 heures, à l'amphithéâtre de la Verrerie, a eu lieu une rencontre avec l'auteur David Grossman. Il était accompagné de Philippe Delaroche, Emmanuel Moses, et Anne Reyer.

Les intervenants ont pu décrire l'auteur dans son intimité à travers ses oeuvres, notamment avec Une femme fuyant l'annonce, son dernier livre publié qui a connu un très grand succès, en ayant reçu le prix Médicis. Egalement très controversé, son livre Hors du temps aborde comme son dernier livre le thème du deuil. Sujet très personnel puisque l'auteur a lui même perdu son fils, mort au combat.

Dans ce colloque, David Grossman témoigne de cette douleur, notamment par son besoin de mettre des mots sur sa souffrance. Il lui fut difficile de les trouver, car c'est une douleur indescriptible, que la langue ne peut formuler, et qui voue l'homme a un total silence : "Mes mots pour parler de ma douleur".

Le public a été ému par la sensibilité de l'auteur et par ce sujet délicat, car c'est un thème universel. Cette rencontre fut un vrai hymne à la vie, touchant à l'essentiel.

Priscilla BORDENAVE
Emily BONZOM

Rencontre avec Juan Goytisolo

Aujourd'hui à 16h à l'amphithéâtre de la Verrière, a eu lieu la rencontre avec Juan Goytisolo en présence d'Aline Schulman et Guy Scarpetta.

Juan Goytisolo qui a vécu la dictature sous le régime franciste, a commencé son discours en abordant cette expérience. À ce propos il a exposé les deux formes d'autorités qu'il perçoit actuellement : celle de la politique et celle du marché, cette dernière très menaçante pour l'avenir de la littérature.

Cette rencontre s'est poursuivie par les influences de l'auteur, notamment la littérature du Siècle d'Or qui lui a permis de comprendre la modernité. Cette prise de distance avec l'actualité par le biais du passé se retrouve dans l'ensemble de son travail d'écrivain. À cela s'ajoute le déracinement qu'il a vécu lors de son bannissement sous le régime de Franco, de nouveau on revient à cette capacité de l'auteur à juger sans concession l'état de son pays et de sa culture.

Avec la traductrice de Juan Goytisolo, Aline Schulman, on a pu entrevoir la manière dont l'auteur concevait le travail de traduction. Procédé qui consisterait à définir le rythme de la langue, c'est pour cette raison qu'il lui accorde une grande marge de manœuvre.

À travers la sélection de titres de Guy Scarpetta, l'ensemble du public a (re)découvert l'atmosphère et les principaux sujets de l'œuvre de Goytisolo. Ceci a mené surtout à comprendre la position de l'auteur : soulever des problématiques, faire douter le lecteur, et non apporter des réponses.

Cet entretien sur la note de la spontanéité et de la convivialité s'est achevé de manière assez émouvante par la lecture d'un extrait du roman favori d'Aline Schulman, Et quand le rideau tombe (2005).


Gaëlle Berthoux
Alisson Besnard

Projection "Journal de France" Raymond Depardon

A l'occasion de cette fête du livre "Bruits du monde", dans l'enceinte de la Méjanes salle Verrière, en ce jeudi 18 Octobre 2012 à 23 heures, s'est déroulée la projection du film "Journal de France", réalisé par Raymond Depardon en collaboration avec sa conjointe et ingénieure du son Claudine Nougaret, présents lors de la diffusion.

Ce film, qualifié de "livre d'images" par Depardon lui-même, s'inspire de la redécouverte d'images d'archive non exploitées jusqu'alors. Le journaliste-photographe décrit le processus de montage de son film comme semblable au travail d'écriture.

"Journal de France" nous transporte à travers deux visions, deux films parfaitement distincts et liés; le retour sur la carrière entière de Raymond Depardon par sa compagne Claudine; allant du premier métrage tourné par l'artiste, à sa rencontre avec Claudine, en passant par ses prises de Françoise Claustre, ethnologue détenue au Tchad qu'il a accompagnée durant sa captivité, celles, émouvantes, en hôpitaux psychiatriques, jusqu'à des bribes de moments intimes d'acteurs de la vie politique... ceci parallèlement avec l'évasion en camionnette solitaire aux côtés de Raymond, sur les routes de France, à photographier durant quatre années des fragments de son pays d'origine qu'il découvre à peine après avoir tant parcouru le monde.. "Je connais mieux le Tchad que la Meuse".

"Journal de France" témoigne; à travers les multiples rencontres de personnages naturellement révélés sous l'oeil effacé et patient du photographe, par le biais d'images déroutantes de réalisme sur la condition humaine, le monde et ses conflits, de toutes ces existences croisées et de ses paysages; d'un monde, mais avant tout d'une vision du monde, celle de Raymond Depardon, qui parvient à nous évader en nous ramenant à des valeurs de patience, d'observation, de solitude et d'ouverture. Ouverture propre au photographe qui, sans jamais tomber dans le cynisme, préserve toute sa vie un regard attentif et émerveillé sur le monde qui l'entoure.



Lauren Coppola


   

Les trois couronnes du matelot


Ce vendredi 19 octobre à 14 heures a été projeté à l’Institut de l’image de la Cité du livre, le film de Raoul Ruiz,  Les trois couronnes du Matelot.

Raoul Ruiz (1941-2011) est un réalisateur franco-chilien qui fait partie d’une génération politiquement engagé, c’est pourquoi il a été choisi pour illustrer le thème Bruits du monde.

Les trois couronnes du Matelot (117 minutes) réalisé en 1983, est l’un des plus grands films de Ruiz. Le réalisateur se penche sur un monde qui l’a toujours fasciné, celui des marins et de l’océan.
Ce film raconte l’histoire d’un étudiant qui après avoir commis un meurtre, rencontre un matelot. Celui-ci lui promet de l’aider à s’enfuir à la seule condition qu’il lui donne trois couronnes danoises et qu’il écoute le récit de sa vie.

Guy Scarpetta, auteur et amis de Raoul Ruiz a fait une présentation d’une dizaine de minutes sur le réalisateur et ses œuvres.

Le film sera de nouveau projeté dimanche 21 octobre à 19h30. 







Chloé Barros et Nina Beldjillali

Soirée inaugurale


        L'inauguration de la Fête du livre de 2012 s'est déroulée ce jeudi 18 octobre à 18h30 dans le grand amphithéâtre de la Verrière. La salle était pleine et le public équipé de casques audios pour comprendre les auteurs étrangers.
           Annie Terrier a d’abord pris la parole pour présenter le thème de cette année “Bruits du monde”, qui se trouve dans la continuité du thème “la Maison et le monde”, après les deux éditions de 1992  : l’Inde de Satyajit Ray et celle de 2007 : l’Afrique de Wole Soyinka du Nigéria, prix nobel en 1986. Elle a ensuite rendu hommage au faiseur d’étincelles Antonio Tabucchi invité d’honneur en 2000 et à Michel Terrier.
           L’Institut de l’image, en mémoire de Raoul Ruiz projettera trois de ses films, lors de cette manifestation en rapport avec le thème.
           Cette Fête du livre est dédiée à Carlos Fuentes, présent lors de la Fête du livre de 2011 : “La plus limpide région”, disparu cette année. Un hommage lui sera rendu le vendredi 19 à 19h00 et le dimanche 21 à 17h30 dans l’amphithéâtre de la Verrière.
Puis, à la fin de son discours, elle remercia tous les auteurs présents, G.Depardon, C.Nougaret, et Gérard Meudal, tous ceux qui ont contribué à cette fête, les libraires, l’Institut de l’image, l’IUT Métiers du livre et ses élèves, l’équipe de la bibliothèque Méjanes, le service animation programmation culturelle, le service de presses, le service technique de la ville d’Aix-en bus, l’équipe des Écritures Croisées, l’équipe technique, le centre municipal de formation d’apprentis Sainte-Victoire, la Ville d’Aix-en-Provence, le Conseil régional PACA, le Conseil général des Bouches-du-Rhône, la Communauté du pays d’Aix, le Ministère de la Culture et de la communication et le Centre national du livre.
Annie Terrier conclut son discours sur ces mots : “Voici venu le temps de la raison ardente, et j’aimerais dire de la parole ardente.”


            L'ensemble des invités étaient donc réunis autour d'une grande table, certains accompagnés de leurs traducteurs respectifs. Gérard Meudal a orchestré le dialogue en leur posant à chacun la même question: "Quelle est votre perception des bruits du monde?"

           C'est l'auteur chinois Yan Lianke qui a pris la parole en premier. Il n’a pas connnaissance des langues étrangères et n’entend donc que les bruits de son cœur. Il est difficile pour lui de maîtriser son pays, car il est immense : la Chine est un monde en soi. “Lorsque j’entends les bruits de mon village j’entends les bruits du monde”.
David Grossman parle de la complexité politique de la situation de son pays. La langue est manipulée dans ce pays : la tâche de l'écrivain consiste donc à trouver les bons mots pour décrire la réalité. En écrivant, en s'engageant, il reste loyal et conscient de la situation dans ce monde cynique car "c'est facile d'être cynique dans un monde cynique.". Mais lui tente de rester naïf parce qu’il pense que sinon il va perdre la guerre. Il est convaincu du pouvoir des mots et essaie de faire comprendre le monde à ses lecteurs par la narration d'une bonne histoire.
            Puis, c'est au tour de Raymond Depardon et Claudine Nougaret de nous parler de leur film Journal de France, diffusé le soir même à 21h. Le film est monté comme un livre d'image, il s'inscrit donc lui aussi dans une démarche d'écrivain car il a lui aussi une pensée et a besoin de temps pour la développer.
            Juan Goytisolo a un esprit critique et lucide de l'Occident car il a beaucoup voyagé. Ses rapports sont compliqués avec son pays, l'Espagne: l'exil politique n'est pas vécu pour lui comme une punition mais comme une bénédiction. Cela lui permet de regarder son pays de façon périphérique et donc d'avoir un regard extérieur. Il reproche le nombrilisme des espagnols, d’être enfermés dans leur culture.
Pour Antoine Volodine, l'écrivain doit se retrouver dans une sphère personnelle. Les bruits du monde font échos aux catastrophes successives du vingtième siècle. C'est un auteur pessimiste car l’écrivain se retrouve au cœur de la terreur du monde et du fait que l'humanité va vers le pire. Ces livres se situent donc beaucoup dans l'avenir: "Je pense que nous avons entamé la fin.", termine-t-il dans son discours.
Péter Esterházy quant à lui, a vécu pendant quarante ans dans une dictature totalitaire. Cette dernière reflete donc, à l'inverse des bruits du monde, un silence terrible et froid: "Personne ne peut parler sauf le pouvoir." On ne peut parler de son expérience que dans sa langue personnelle, mais elle doit être comprise par tous. Il se pose alors la question: "Comment dans la littérature XXe siècle et dans sa langue personnelle, on peut faire passer un message compréhensible pour tout le monde?"


            Après que chaque auteur se soit exprimé une première fois, Gérard Meudal reprend la parole pour diriger une nouvelle interrogation. L'écrivain ne doit pas seulement témoigner de l'actualité de son pays mais aussi traiter des drames du passé. Ainsi, témoigner de ce passé relève-t-il de la responsabilité de l'écrivain?

           Le but de Yan Lianke est avant tout de décrire le passé de la Chine avec le maximum de précision. Son objectif est de faire connnaître la Chine, la Chine véritable. “La plus grande chance d'un écrivain c'est la succession de drames”. Mais c'est aussi pour cela que ses romans font polémique dans son pays.
           David Grossman essaie de ramener dans ses oeuvres les échos de l'histoire, notamment avec la langue hébraïque. La langue était endormie et ne concernait que les textes sacrés, puis elle est devenue vivante. De nouveaux rêves sont possibles avec cette langue."J'essais de trouver en moi les choses les plus outrageuses qui se passent en Israël."
           Juan Goytisolo nous dit : "Tout le monde est conditionné par l'histoire.". Il n'a jamais voulu écrire de romans historiques. Et il ne se dit pas comme un réprensentant de la culture espagnole.
           La langue de Péter Esterházy est une petite langue mais cela ne veut pas dire qu'il y a peu de lecteurs. Il reprend Juan Goytisolo qui désire se détacher du contexte national, il trouve cela beau car c'est impossible. Étant donné que pour lui la langue a toujours un contexte national important.
           Enfin, Antoine Volodine veut créer des espaces narratifs qui ne puissent pas être reconnus comme appartenant à telle ou telle réalité. En effet, il essaie de trouver une expression cosmopolite, qui ne se revendique jamais d'une appartenance nationale. "La langue de réference doit être une langue de traduction.". Il est le traducteur de langues diverses dans lesquelles s'expriment ses personnages. Il vit dans le post-exotisme : il n'appartient à aucun pays, il se réfère à l'humanité en général.


Tiphanie Astre, Elise Courtot, Margot Adam

jeudi 18 octobre 2012

Vernissage exposition Raymond Depardon Errance


     "L'errance, terme à la fois explicite et vague, est d'ordinaire associée au mouvement, et singulièrement à la marche, à l'idée d'égarement, à la perte de soi-même. Pourtant, le problème principal de l'errance n'est rien d'autre que celui du lieu acceptable."
     Voici les premiers mots du livre de Raymond Depardon, invitant ainsi les spectateurs et les lecteurs à parcourir son oeuvre : Errance.

     "Bruit du monde, mais photos silencieuses"
Ainsi commence le discours de Raymond Depardon pour le vernissage de son exposition, dans la galerie Zola à la Cité du Livre à l'occasion de la 29ème édition de la Fête du Livre d'Aix-en-Provence. Il retrace son voyage à travers, la région parisienne, Tokyo, l'Ethiopie,  l'Allemagne et l'Argentine, avec pour seul but de se perdre, d'atteindre l'errance.
Sa définition de l'errance passe par des prises de vue en hauteur, car il y a une véritable perspective et une "idée de couloir dans l'errance". De plus le photographe a ressenti la nécessité d'utiliser un appareil avec un grand angle pour montrer l'importance du sol dans cette exposition, illustration de la marche et de la promenade.
Raymond Depardon a éprouvé le besoin de ne pas raconter une histoire en photo, comme il le faisait dans son métier de reporter, mais de montrer son interprétation personnelle de l'errance, un certain "laisser-aller".
     Ses photos en noir et blanc sublimées par l'obscurité de la salle d'exposition, mêlent l'ombre et la lumière dans un jeu de contraste poignant ; touchant ainsi tous les spectateurs qui pourront se reconnaître car comme il l'exprime l'errance est universelle.


L'exposition reste accessible dans la galerie Zola jusqu'au 24 novembre 2012.





Nicolas Azéma et Mathilde Bagnères.

Présentation de la Fête du Livre 2012

Comme tous les ans depuis 1983, la Fête du Livre s'installe à Aix-en-Provence à l'initiative des Écritures croisées et en partenariat avec la bibliothèque Méjanes, l'IUT des métiers du livre, les librairies d'Aix-en-Provence (Vents du Sud, Goulard, Librairie de Provence, Forum Harmonia Mundi et Book In Bar).
Elle se déroulera cette année du 18 au 21 octobre 2012 à la Cité du livre autour du thème Bruits du monde. 

Pour débattre sur cette thématique, de nombreux auteurs de différentes nationalités ont répondu présent tels que David Grossman, Juan Goytisolo, Yan Lianke, Antoine Volodine et Péter Esterházy.

Vous pourrez assister en accès libre à des rencontres, des séances de cinéma, des lectures, des signatures ainsi qu'à l'exposition de Raymond Depardon. Événement notable de cette édition, un hommage à Carlos Fuentes, qui aura lieu le vendredi 19 à 19h

À savoir: 

Les casques audio sont disponibles lors des rencontres en échange d'une pièce d'identité.
Les livres des auteurs seront disponibles sur les stands des librairies.

Adresse de la cité du livre: 8-10 rue des Allumettes.